La musique de Noël envahit les stations radiophoniques depuis maintenant près d'un mois. Et bien que j'étais la première à chanter à tue-tête Vive le vent au début du mois de décembre, maintenant... je me rends compte qu'il n'y a pas tant de succès de Noël que ça, et que ce sont toujours les mêmes qui reviennent avec un interprète différent. Donc, hier, j'ai commis un sacrilège de décembre: j'ai écouté autre chose qu'une chanson de Noël sur mon iPod (ne me jetez pas de pierres s'il vous plait).
Donc, j'écoutais candidement de la musique sur mon iPod lorsque soudain est apparu une chanson composée par Serge Kerval, intitulée La Loire, qui raconte l'histoire d'une jeune fille dans la France de l'Ancien Régime. Un couplet a retenu mon attention:
Sur le chemin de ses amours,
Orléans ne fut qu'un détour
Car le bourgeois se le fit prendre
Par le roi qui venait à Blois
Le roi qu'on appelait François
François Ier la Salamandre
Puis, je me suis dit que c'était dommage que tout le monde sache qui était François Ier de nom, mais que très peu de gens connaissent vraiment son rôle pour la France.
François Ier, né en 1494 à Cognac, est le fils de Charles d'Orléans, cousin du roi de France Louis XII, et de Louise de Savoie. Son père meurt lorsqu'il a deux ans. Comme le roi n'a pas d'enfant pouvant accéder sa succession, Louis XII invite donc le jeune François avec sa mère et sa soeur, Marguerite, à la cour. Il passe donc son enfance dans les châteaux de la Loire.
Il monte sur le trône en 1515 en ayant déjà la réputation d'être un humaniste.
Si vous vous souvenez bien de vos cours d'histoire, vous avez probablement quelques souvenirs de vos professeurs qui insistent sur le fait que le mouvement humaniste est ULTRA important dans l'histoire occidentale. Mais en général, peu de gens ont pris la peine d'expliquer vraiment ce qu'était l'humanisme. Alors... c'est quoi?
L'idéal de l'humanisme, c'est ce qu'on appellerait aujourd'hui la culture générale, mais poussée à l'extrême: l'humaniste parfait doit TOUT savoir. En fait, je crois que nul ne décrit mieux cet idéal que Rabelais, lorsqu'il en fait la caricature dans son Pantagruel. Dans l'extrait qui suit, Gargantua écrit à son fils, Pantagruel, ce qu'il doit AB-SO-LU-MENT savoir:
J’entends et veux que tu apprennes les langues parfaitement. Premièrement le grec, comme le veux Quintilien; deuxièmement l’hébreu pour l’Écriture sainte; le chaldéen et l’arabe pour la même raison; que tu formes ton style sur celui de Platon pour le grec, sur celui de Cicéron pour le latin. Qu’il n’y ait pas d’étude scientifique que tu ne gardes présente en ta mémoire et pour cela tu t’aideras de l’Encyclopédie universelle des auteurs qui s’en sont occupés.
Des arts libéraux : géométrie, arithmétique et musique, je t’en ai donné le goût quand tu étais encore jeune, à cinq ou six ans; continue; de l’astronomie apprends toutes les règles; mais laisse-moi l’astrologie comme autant d’abus et de futilités.
Du droit civil, je veux que tu saches par cœur les beaux textes et que tu les mettes en parallèle avec la philosophie.
Et quant à la connaissance de la nature, je veux que tu t’y donnes avec soin; qu’il n’y ait mer, rivière, ni source dont tu ignores les poissons; tous les oiseaux du ciel, tous les arbres, les arbustes et les buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au ventre des abîmes, les pierreries de tous les pays de l’Orient et du Midi, que rien ne te soit inconnu.
Puis relis soigneusement les libres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser les Talmudistes et les Cabalistes, et, par de fréquentes dissections acquiers une connaissance parfaite de l’autre monde qu’est l’homme. Et quelques heures par jour, commence à lire l’Écriture sainte : d’abord le Nouveau Testament et les Épîtres des apôtres, écrits en grec, puis l’Ancien Testament, écrit en hébreu.
En somme, que je voie en toi un abîme de science car, maintenant que tu deviens homme et te fais grand, il te faudra quitter la tranquillité et le repos de l’étude pour apprendre la chevalerie et les armes afin de défendre ma maison, et de secourir nos amis dans toutes les difficultés causées par les assauts des malfaiteurs. (1)
Et ensuite, que les média viennent nous dire qu'on surcharge les enfants d'aujourd'hui en leur mettant trop de pression!
D'un point de vue graphique, l'humanisme est représenté par le célèbre Homme de Vitruve de Léonard de Vinci: l'homme, au centre d'un cercle et d'un carré, touche à tous les côtés de celui-ci.
Donc, voilà. François Ier sait TOUT, ce qui, selon plusieurs historiens, le rend difficilement supportable. Surtout qu'il est maintenant à la tête du pays le plus peuplé d'Europe, et que, de l'avis général des demoiselles de l'époque, il n'est pas laid.
En fait, il se passe quelque chose de remarquable à l'époque où François Ier monte sur le trône, en 1515: les trois grandes puissances de l'époque sont dirigés par trois rois jeunes et beaux: l'Angleterre est dirigée par Henri VIII depuis 1509 (il est alors considéré comme le plus beau et le plus humaniste des princes d'Europe, c'était avant qu'il ne devienne un misogyne assoiffé de sang) et Charles Ier, futur Charles Quint, est à la tête de la superpuissance espagnole depuis 1516. Cela, il va s'en dire, ne se déroule pas sans incident diplomatique.
Le plus connu est sans doute la "course au Saint-Empire", que François Ier perd aux mains de Charles Quint en 1519. Encerclé par l'ennemi espagnol au sud et à l'Est, François Ier n'est toutefois pas à plaindre: il a gagné le duché de Milan lors de la bataille de Marignan, en 1515. Et puis, il a quand même un pied dans l'Empire: après que Luther ait affiché ses thèses en 1517, plusieurs États de l'Empire se sont convertis à la religion réformée, ce qui ne va pas sans déplaire à Charles Quint, très catholique. François Ier s'allie donc avec ces États protestants et leur fournit une aide financière (à défaut d'être militaire).
Le second incident diplomatique auquel est mêlé François Ier est le Camp du Drap d'Or. L'incident, survenu en juin 1520, devait en fait être une rencontre diplomatique entre François Ier et Henri VIII. Un camp est dressé en Flandres, entre les territoires français et anglais, et avait pour but d'allier les deux puissances atlantiques contre l'Espagne. Toutefois, François Ier essaie d'impressionner son concurrent: les draps jaunes pour rappeler l'or font déjà un peu prétentieux, mais c'est quand les deux rois, férus d'athlétisme, décident de se lancer dans un combat "amical" à mains nues, et que François Ier gagne ledit combat avec une étonnante facilité, qu'il s'aliène définitivement le souverain anglais.
Ces démonstrations de puissance peuvent être illustrées dans le surnom que l'Histoire lui a laissé: la salamandre. Dans la mythologie populaire, la salamandre survivait au feu: avoir le contrôle sur le feu signifiait donc avoir le contrôle sur les hommes, et par extension sur le monde.
Toutefois, il ne faut pas penser que François Ier était un roi égocentrique et arrogant. Il a également fait de grandes choses pour la France, qui doivent être notées.
Tout d'abord, il faut noter son ouverture d'esprit vis-à-vis des Protestants, ce qui est étonnant alors que Charles Quint entre en guerre contre l'Empire et les Provinces-Unies pour éradiquer le protestantisme et qu'Henri VIII divise son pays pour obtenir son divorce. Il profite également des guerres internes dans l'Empire pour s'allier avec Soliman le Magnifique, dont l'empire atteint les portes de l'Empire. C'est un joli pied de nez à Charles Quint: alors que l'empereur l'entoure au Sud et à l'Est, le roi entoure l'Empire et l'Espagne au Nord, à l'Est et à l'Ouest.
Dans l'économie, c'est également sous le règne de François Ier que la France commence à varier ses productions agricoles. Autrefois basée sur la céréale, François Ier insère notamment les carottes, les betteraves, les artichauts et les choux-fleurs, permettant ainsi à plusieurs mères françaises de commencer à utiliser la terrible menace: "Mange tes légumes si tu veux du dessert." Dans l'industrie, la France prospère avec l'artisanat. C'est également lui qui lance la première loterie d'État.
D'un point de vue politique, il rétablit la cour dans les environs de Paris, puis, à mesure que son règne avance, à Paris même. C'est également à cause de lui que le français devient la langue officielle de la France, obligeant ainsi des milliers d'étudiants actuels à en apprendre toutes les exceptions. Il finance également les expéditions de Jacques Cartier au Canada en 1534, 1535 et 1541, voulant probablement imiter Charles Quint, dont les vaisseaux reviennent d'Amérique du Sud chargés d'or. Comme on le sait, les expéditions au Canada ne rapporteront pas grand chose et l'idée d'une colonie en Amérique du Nord est vite oubliée pour les prochaines années.
C'est au niveau des arts que le rôle de François Ier est le plus ambigu. Il dépense des sommes considérables pour faire venir d'Italie et de Grèce des statues antiques. Il fait également venir des oeuvres des maîtres du temps, que ce soit de Michel-Ange, de Titien ou de Raphaël. Il fait également venir Léonard de Vinci en France, bien que celui-ci ne peigne rien pour lui. On pense cependant qu'il aurait participé aux croquis du château de Fontainebleau.
C'est également sous son règne que le Louvre passe d'une forteresse médiévale au grand palais Renaissance, identique à quelques détails près à celui que l'on aperçoit de nos jours. Il bâtit également le château de Fontainebleau. Toutefois, toutes ces constructions laissent les coffres de la France dans un piteux état.
François Ier meurt en 1542 de septicémie.
Vous aimez l'ambiguïté de François Ier? Vous aimeriez savoir à quoi il pense? Vous pouvez commencez vos recherches ici.
Sa vraie vie. L'épisode de l'élection à la tête du Saint-Empire est relaté par W. Lewis dans sa biographie de Charles Quint. Étrangement, le tiers de ce livre est consacré à François Ier, donc si vous vous intéressez aux relations germano-franco-espagnoles, c'est un excellent point de départ.
Des films. Si vous aimez particulièrement l'architecture de la Renaissance et les histoires de complots, vous pouvez écouter le documentaire sur les signes cachés que François Ier aurait glissé dans ses châteaux ici: http://www.dailymotion.com/playlist/x1hhqa_ValeriePotvin_francois-ier#videoId=xajlqr Vous pouvez également aller jeter un coup d'oeil au "channel" de YouTube consacré au Château de Fontainebleau. http://www.youtube.com/user/fontainebleauchateau Bien que ce ne soit pas une vidéo, je vous mets également le lien pour la chanson qui m'a permis de faire l'introduction de cet article. L'arrangement musical y est très joli, et vous aurez les paroles en plus: http://www.labouline.com/html/paroles_CD3_9.htm
En parallèle. Ce qu'il y a de bien avec le côté humaniste de François Ier, c'est qu'il a touché à tellement de chose que la section "En parallèle" est plutôt facile à faire! Je commencerai donc par vous suggérez l'épatant numéro spécial d'Historia sur le Louvre d'aujourd'hui et d'hier (septembre-octobre 2010). Vous pouvez également aller sur le site de ce géant des musées, où la section "Histoire" vers laquelle vous redirige le lien vous en apprendra plus sur le rôle de François Ier dans son développement: http://www.louvre.fr/llv/musee/histoire_louvre.jsp Enfin, si vous voulez vous aventurez du côté des ennemis de François Ier, vous aurez un très bel aperçu de la dualité entre le côté "je suis le plus beau prince d'Europe" vs "je suis un misogyne mégalomane" d'Henri VIII dans le documentaire de Secret d'Histoire, intitulé à juste titre "Henri VIII: Un amour de tyran": http://www.dailymotion.com/playlist/x1hhqr_ValeriePotvin_secret-d-histoire-2009-08-13#videoId=xcy7ea
En ligne. Comme d'habitude, une étagère de ma bibliothèque Google Books a été créée pour François Ier. Il trouverait probablement qu'elle ne contient pas assez de livres pour illustrer sa grandeur et qu'en plus, je n'en ai pas mis en latin ou en grec, mais allez y jeter un coup d'oeil quand même! http://books.google.ca/books?uid=5193644990311896005&as_coll=1021&hl=fr&source=gbs_lp_bookshelf_list
Et surtout, le plus important... JOYEUX NOËL ONCLE FRANÇOIS!!!!
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(1) Scherer, Edmond. Études critiques sur la littérature contemporaine, Paris, Lévy frères, 1882, http://books.google.ca/, p. 53-54.
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